Dix-neuf cent quatre vingt deux.
Dix-huit ans et la rage de m’affirmer. M’affirmer comme personne, comme être, comme âme. Rendre compte de mon existence.
Justifier ma présence sur terre.
Pour échapper justement à l’indifférence des autres. Pour prouver que j’existe. Pour démontrer que ma personne pèse autant que les autres personnes dans la balance des hommes. Je pars jouer à la guerre.
De ces mois de cauchemar je ne conserve qu’un mal de vivre, un ennui permanent, des relents de folie et des essais ratés de m’envoler vers l’au-delà.
Les souvenirs ? Les effacer. Surtout les effacer. M’évertuer à les écarter de mon existence. Atroces, sordides, sanglants et excessifs, ils ne peuvent qu’empoisonner ma vie.
Effacer.
Gommer la vie démunie de ses fonctions, vidée de son essence. Oublier la souffrance qui flirte avec la jouissance. Les êtres déchaînés qui ne font que perpétuer des horreurs déjà commises au fil des siècles par d’autres êtres également déchaînés.
Absence totale d’imagination. La jouissance est simple, la violence est plate, la fantaisie inexistante. Rien que le plaisir de cogner, de se laisser aller, de détruire, d’étouffer des vies, d’attiser des souffrances.
Rater sa vie en somme, tout en triturant celle des autres.
La guerre. C’est un pays qui s’écroule. C’est une virginité que je perds. C’est mon innocence qui s’accroche. Et c’est ma raison qui bascule.
Mais qu’importe si mes yeux sont déjà souillés et mon âme avilie. Mon innocence s’accroche quand même.
Si mon cœur bat toujours, c’est parce qu’il pompe par routine. Mon cœur se défile de ma conscience. Il se cache, avili, honteux.
La guerre vécue à la première personne.
La guerre qui a changé ma notion des choses, la guerre a brouillé mes valeurs, la guerre a gravé en moi ses marques indélébiles.
La guerre m’a presque vidé de sens.
Noyé.
Ou presque.