Le mal. Par devoir. Par amour. Par le mal. Pour le mal.
Puissance ? Jouissance ? Ignorance ?
Frustrations vengées, angoisses apaisées par d’autres angoisses. Le cercle infernal de la Haine qui ne se referme que pour recommencer immédiatement sa ronde meurtrière.
Haine.
Haine de la différence, abomination de l’autre. Quand la Haine se déchaîne sur un pays, elle déracine le bien en broyant tout sur son passage.
Et la clémence qui disparaît sans laisser de traces.
La guerre qui nous a investit, la guerre qui a poussé ses racines jusqu’au cœur de nos vies, la guerre qui a enchaîné nos espérances… s’éternise.
La guerre nous a noircis.
Noirci nos joies, nos peines, nos existences, les yeux de mon père, ses rêves, son cœur, la raison de ma mère, sa force, ses illusions.
Et mon cœur aussi, et toute l’énergie qui l’entoure.
Et ce n’est qu’aujourd’hui que j’en récupère des bribes.
Maintenant.
Je me recolle.
Et ce n’est que bien longtemps après, très loin, à l’Ouest, à l’autre bout de la mer. Là où le soleil se couche dans les terres, là où l’on voit le soleil se lever en face, du côté de la mer, que je me recolle.
En face.
Dans mon pays, c’est en face qu’il se couchait le soleil. Dans mon pays, il se couchait en pleine méditerranée le soleil, éclaboussé par les nuages, entouré de lumières roses, violettes, bleues et oranges. J’en conserve le souvenir. Les halos qui transperçaient l’horizon et se déversaient dans le ciel et dans la mer. J’étais jeune et j’imaginais le Bon Dieu sur son trône, caché derrière ce spectacle grandiose. J’imaginais un Bon Dieu grandiose, derrière un astre grandiose. Et je pouvais bien comprendre l’obstination de l’astre à ignorer notre souffrance, à continuer sa ronde immuable. Mais l’indifférence du Bon Dieu m’échappait.
Il se couchait tous les soirs le soleil, sourd à nos souffrances, aveugle au drame qui se jouait en face de lui, tous les soirs, de tous les jours, de tous les mois, de toutes les années, l’espace d’un tas de vies qui ont fini par s’éteindre l’une après l’autre, tout bêtement, sans avoir compris, des vies braquées sur l’espoir de comprendre, sur l’espoir de vivre, des vies qui ont fini par s’éteindre exténuées, enchevêtrées dans une explication impossible du mal, de la malchance, de l’injustice, empêtrées dans leur foi, la foi qui donne l’espérance et qui torture les esprits, des vies broyées par l’injustice de la vie. Les esprits atterrés par la foi. Les esprits qui ne comprennent pas le sens de toute cette abjection. Les esprits qui ont déserté alors les vies, et les vies qui se sont tout simplement éteintes.
Papa, tes yeux se sont éteints, ton esprit t’a lâché, tu n’avais plus que ta foi, tu t’y es accroché et tu n’as rien voulu voir d’autre. Mais ta foi ne pouvait rien contre le mal. Ta foi, la foi ne peut rien contre le mal, elle ne peut rien contre rien d’autre. La foi, ta foi ne t’a aidé qu’à t’éteindre en paix. Et tu t’es éteint en pensant bien faire, et tu t’es éteint en espérant découvrir un au-delà lumineux.
C’est comme ça donc que ton esprit t’a déserté, que ton cœur a flanché et que ta vie est partie. Dans la foi.
Et tu t’es éteint en nous laissant sans réponses. Nous, ta famille, ta descendance. Sans réponses.
Alors, j’ai mis des années à te retrouver.